Je m’appelle Marianna Masselli.
Dans ma vie, j’ai le théâtre et le blé. Je suis critique théâtrale mais je travaille aussi dans les champs. Ce sont deux dimensions très différentes, bien sûr, mais bizarrement, elles sont tout à fait conciliables. Le théâtre est éphémère mais révélateur : il joue avec la racine de l’humanité. La terre fait la même chose. Je me retrouve souvent à écrire une critique après une journée dans les champs : ce qui est forme, structure ou esthétique dans le théâtre ne l’est pas pour la terre et vice-versa. Un équilibre naît de ce déséquilibre.
Mon père était éleveur et agriculteur. Mais le métier en vrai, je ne l’ai appris qu’après, quand mon père avait déjà disparu. Matteo me l’a enseigné avec patience, c’est un collaborateur qui a toute ma confiance et à qui je dois tant.
Il me dit toujours : « Comme je voudrais que ton père te voie sur le tracteur. Je vais chercher à t’enseigner le plus possible parce que j’ai confiance en moi, parce que dans la terre, j’y suis né, vraiment, mais toi non, toi tu es née dans un hôpital. »
Il ne fait qu’un avec la terre.
Au début tout était très difficile. J’avais sous-estimé les difficultés pour une femme qui ne connaît pas bien ce travail. Il est important de savoir tout faire, comme conduire le tracteur ou reconnaître la mauvaise herbe. J’ai appris à labourer, à travailler avec le brise-motte. Il faut connaître le métier si tu veux pouvoir commander.
Un fort sentiment de responsabilité me poussait à continuer ce que mon père avait commencé. Mais à la fin, j’ai compris : je devais le faire à ma manière, je ne devais pas essayer d’être mon père.
Travailler au contact de la terre change ton biorythme. C’est un travail sanguin. Moi, je détestais l’été. Maintenant je l’attends avec impatience, avec ses longues journées dorées où l’on retrouve le temps et soi-même. Tout y refleurit. Tout renaît.
J’ai un petit souvenir intime lié au blé, qui remonte à mon enfance. Le battage dure des journées entières dans les champs. À l’heure du déjeuner, nous ouvrions avec impatience les paniers qui contenaient la pizza de ma mère et le thermos de café. Mais je cherchais surtout le sandwich au jambon que me portait Matteo. Ce sandwich marquait le temps, il me disait que cette période de l’année était arrivée. Il continue encore de le faire aujourd’hui. C’est attendre ensemble la récolte. C’est l’émotion.